Justice, police et aide à la jeunesse : les dernières des priorités ?

Le grand public commence à intégrer les enjeux climatiques et à faire pression sur les politiques pour qu’ils les prennent réellement  en compte. Parfait.

Par contre, les enjeux « Police – Justice – Aide à la jeunesse », ce même public, éloigné au quotidien de ces thématiques, ne les perçoit pas encore avec la même acuité.

Et pourtant... les signes de dérèglements graves sont bien présents, à l’instar des conséquences du réchauffement : condamnations répétées de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’Homme pour l’état de nos prisons, désespoir des policiers submergés par la bureaucratie, appels à l’aide des magistrats, prise en charge efficace des enfants en souffrance, etc.

Il est question de préserver la démocratie, l’Etat de droit? Mais alors, comment oublier que ceux-ci n’existent que parce que le troisième pouvoir, la Justice, à côté du parlement et du gouvernement se trouve à sa juste place et dispose des moyens nécessaires à l’exercice de sa mission ? Ce n’est pas le cas. Le déséquilibre actuel est producteur d’inefficacité et représente une menace pour l’avenir. La paix n’est jamais  un acquis. Elle s’effrite dangereusement avec les conflits liés aux injustices et, pourtant,  notre Etat réduit les possibilités d’y répondre et de les prévenir.

Avocats, assistants sociaux, médecins, magistrats, psychologues, nous sommes administrateurs bénévoles d’une petite association, l’asbl INTACT,  créée en 2008 pour répondre à la nécessité de lutter, sur le plan juridique, en Belgique, contre les mutilations génitales féminines et  d’autres violences associées (tels les mariages forcés). Nous étions confrontés à ces questions dans nos pratiques professionnelles. 

Avec d’autres, nous avons commencé par conscientiser le monde politique : qui pouvait en effet croire que de telles pratiques coutumières s’arrêteraient du seul fait qu’un enfant ou une famille provenant d’une région où elles ont cours se trouve sur le sol belge ? Il s’agit de questions identitaires bien ancrées socialement ; il est dès lors  évident que ces problématiques concernent aussi la Belgique. Plusieurs études statistiques ont d’ailleurs conclu à la présence sur le territoire de plus de 4000 femmes et fillettes ayant subi ou risquant de subir les pratiques que nous combattons.

Très vite, grâce à la mobilisation d’un vaste réseau et à la confiance de nombreux donateurs, Intact a pu obtenir des subsides européens, co-financés par différentes institutions publiques belges (principalement la région wallonne, la région bruxelloise, la fédération Wallonie-Bruxelles, les francophones de Bruxelles et la région flamande).

Intact a occupé jusqu’à 5 salariés pour réaliser des études, concevoir des outils pour les professionnels (sur le secret professionnel, les obligations internationales qui lient la Belgique et nous obligent  à prendre en compte ces questions dans toutes les procédures administratives ou judiciaires), organiser des colloques ainsi que des formations à destination de la  police et des magistrats, peu familiarisés avec ces thématiques moins connues et donc moins détectées, etc.

Après 10 ans d’existence, Intact est fière du travail accompli et de la reconnaissance qui lui permet aujourd’hui d’agir en justice, si nécessaire,  pour défendre une fillette ou une femme violentée. Il reste beaucoup à faire pour poursuivre le travail de prévention, en particulier dans le secteur « justice et police ». 

Cependant, depuis environ 5 ans, les recherches de financements occupent de plus en plus de temps, au détriment du cœur des actions de l’association. Malgré ses efforts, Intact n’a pas pu obtenir de financement pérenne et a donc dû décider de mettre momentanément ses actions en veilleuse. L’association continue d’exister sur le plan formel mais elle ne fonctionnera plus qu’avec  un réseau de bénévoles. 

Ce constat nous contraint à revoir nos ambitions à la baisse ; peut-être devrons-nous nous contenter de rester disponibles,  au cas où une action en justice s’avérait malheureusement nécessaire. Nous prenons ainsi le risque de nous priver d’une action préventive qui, dans une situation donnée, pourrait tout changer…

La situation d’Intact est un petit symptôme, parmi bien d’autres, du dérèglement profond de notre système politique : il éprouve les plus grandes difficultés à soutenir des visions dépassant le terme électoral, notamment dans les secteurs de la justice, de la police et de l’aide à la jeunesse. 

L’avenir risque bien de voir se produire de grandes catastrophes qui ne découleront pas uniquement du réchauffement climatique. 

Céline Verbrouck, présidente de l’asbl INTACT