Les exciseuses agissent dans l’ombre

Pratiquer des mutilations génitales féminines est punissable depuis 2001. Mais en neuf ans, il n’y a eu aucune condamnation. Et très peu de plaintes...

À quelques jours de la Journée internationale de la Femme, le 8 mars prochain, le Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines (Gams)-Belgique et la campagne européenne "End FGM" appellent la Belgique à soutenir la nouvelle stratégie de lutte contre les excisions, infibulations et autres mutilations génitales pour protéger les droits des femmes et des filles (lire ci-contre).

Si cette coutume est très répandue dans une partie de l’Afrique, elle est aussi en cours au sein de l’Union européenne, le Parlement européen estimant à 500 000 le nombre de femmes ayant subi des mutilations sur le territoire de l’Union.

Notre pays n’est pas épargné par le phénomène. Des mutilations génitales féminines se pratiquent clandestinement sur le territoire ou à l’étranger, sur des fillettes disposant d’un titre de séjour en Belgique, voire de la nationalité belge.

Selon une étude faite en 2009 par Fedasil (l’agence fédérale en charge de l’accueil des demandeurs d’asile), on estimait à 340 le nombre de femmes "certainement mutilées" sur les 598 ressortissantes de pays où l’excision ou l’infibulation est pratiquée résidant dans les centres d’accueil. Les principaux pays d’origine sont, par ordre décroissant : la Guinée Conakry (215), la Somalie (37), le Soudan (11) et l’Ethiopie (10).

Autre indication : selon les chiffres du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, en 2008, sur 185 dossiers où la mutilation génitale est citée comme motif de demande d’asile, 141 femmes ont obtenu une reconnaissance; 39 ont essuyé un refus et 5 personnes ont renoncé. La Guinée Conakry (123 dossiers) arrive ici encore largement en tête des pays d’origine dont étaient issues ces femmes. Suivent : le Sierra Leone (9), la Côte d’Ivoire (6), la Mauritanie (6) et la Somalie (6).

De son côté, l’ASBL Intact, mise sur pied il y a tout juste un an pour recevoir, en Belgique, les signalements d’excision et les porter au besoin à la connaissance des autorités judiciaires, indique que 500 fillettes "à risque" naîtraient chaque année chez nous.

Depuis quelque temps, relève "Intact", les demandes d’asile fondées sur la crainte d’une mutilation génitale en cas de retour au pays ont considérablement augmenté, notamment de la part de ressortissantes guinéennes. "Dès lors qu’il s’agit d’une coutume extrêmement bien ancrée, on peut difficilement croire que la pratique cesserait par le seul fait de la migration", ajoute l’association, qui craint le jour, "qui viendra malheureusement", où apparaîtra au grand jour une première histoire dramatique, celle d’une fillette dont le décès sera identifié comme faisant suite à une excision.

L’article 409 du code pénal, entré en vigueur le 27 mars 2001, prévoit des peines de prison pour "quiconque aura pratiqué, facilité ou favorisé toute forme de mutilation des organes génitaux" d’une femme, avec ou sans son consentement. Les peines sont aggravées si la victime est mineure ou s’il y a un but de lucre.

Mais à ce jour, soit neuf ans plus tard, aucune condamnation n’a été prononcée sur base de l’article 409 du code pénal. Les premières plaintes viennent seulement d’être déposées, indique l’ASBL Intact.

Pourquoi tant de frilosité ? La pression sociale, la crainte de représailles et le caractère tabou de la pratique au sein des communautés concernées sont une grande part de l’explication. A quoi s’ajoute le malaise des professionnels : les médecins, enseignants, éducateurs qui constatent ou suspectent une mutilation s’interrogent sur leur rôle, leur obligation, l’approche la plus adéquate. Intact pointe encore le manque d’information et de formation des acteurs judiciaires au sens large (y compris la police) qui ne sont pas outillés pour détecter les situations de danger.

A l’inverse, la France a développé, depuis la fin des années 70, une jurisprudence de plus en plus sévère et innovante, en poursuivant des exciseuses et des parents de victimes jusque devant la cour d’assises et en prononçant des peines de prison fermes. "L’impunité qui prévaut actuellement chez nous pourrait entraîner une importation de ce type d’infraction", avance Intact.