L’excision au bout de l’éloignement

Wulaymatu, 18 ans, doit être renvoyée vendredi vers le Sierra Leone.

Il y a des coïncidences plutôt cruelles. Au moment où la présidence belge de l’Union européenne tient une conférence interministérielle sur "la qualité et l’efficacité dans le processus d’asile", qui accorde une attention particulière aux questions liées au genre et aux groupes vulnérables, la Belgique s’apprête à renvoyer deux jeunes femmes en Sierra Leone où elles sont menacées d’excision. Elles ont précisément fui leur pays parce qu’elles refusaient de se soumettre à cette tradition ancestrale. Cette mutilation sexuelle entraîne de graves conséquences physiques et psychologiques - et trop souvent encore, la mort.

Wulaymatu a été appréhendée avec de faux documents à la frontière, le 1er juin dernier, et enfermée immédiatement au centre fermé 127 bis de Steenokkerzeel. Elle affirme être née le 1er décembre 1992, mais les tests osseux ont conclu qu’elle avait déjà 18 ans. Après une première réponse négative, Wulaymatu a introduit une nouvelle demande d’asile, que l’Office des étrangers a refusé de prendre en compte, estimant que les nouveaux éléments apportés n’étaient pas probants. L’éloignement forcé de la jeune fille, qui a épuisé toutes les voies de recours interne, est prévu pour le 17 septembre - soit vendredi. Son avocat, Me Brecht De Schutter, a introduit, mardi après-midi, un recours en extrême urgence devant la Cour européenne pour tenter d’empêcher cet éloignement.

Theresa, 27 ans, est, elle, arrivée en Belgique le 1er juin 2009. Elle a d’abord séjourné en centre ouvert. Le Gams (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles)-Belgique a d’emblée suivi de près le dossier de Theresa. Après un premier refus d’asile, la jeune femme a introduit une nouvelle demande, le 16 juin 2010, mais l’Office des étrangers a estimé qu’il n’y avait pas d’éléments nouveaux relevants. Theresa a alors été envoyée au centre fermé 127 bis, où elle réside toujours. Elle y a introduit, fin juillet, une troisième demande, qui a été prise en considération. Mais le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides a rendu une décision négative, le 7 septembre dernier. La jeune femme est en recours auprès du Conseil du contentieux des étrangers.

Le Gams-Belgique et Intact (une jeune ASBL qui vise à agir sur le terrain juridique pour tenter d’aider les femmes et les fillettes mutilées et, surtout, celles qui risquent de l’être) se disent très inquiets pour Wulaymatu et Theresa. La mutilation génitale est une forme de torture condamnée par le droit international, notamment par une résolution récente (24 mars 2009) du Parlement européen.

En Sierra Leone, 94 % des femmes sont mutilées. Le Comité national de lutte contre les pratiques traditionnelles néfastes de Sierra Leone a confirmé que l’excision était pratiquée tant sur les femmes adultes que sur les petites filles et que l’Etat ne fait rien pour empêcher ces mutilations. "Ces données objectives démontrent qu’il y a un risque concret que ces femmes soient mutilées, de force s’il le faut", insistent les deux associations. Ces violences liées au genre ne sont pas toujours reconnues par les instances d’asile, regrettent-elles. "Elles estiment que le risque est peu important pour les femmes adultes ou que les femmes doivent pouvoir trouver une protection dans une autre partie du pays".

Cette alternative de fuite interne (dans les villes, par exemple), ne peut être invoquée dans le cas du Sierra leone, où ces mutilations se pratiquent partout dans le pays. Le célèbre camp de déplacés de Grafton, à Freetown, est d’ailleurs tristement célèbre pour son nombre d’exciseuses pratiquant les "initiations" à tout âge, ajoutent les deux associations.